Découvrez comment agir en prévention à l'aide de la santé environnementale
« Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, tout être humain est désormais soumis au contact de produits chimiques dangereux, de la conception jusqu’à la mort »
Rachel Louise Carson, zoologiste et biologiste, « Le printemps silencieux » édité en 1962
L’augmentation de l’incidence des maladies chroniques à travers le monde représente aujourd’hui une préoccupation majeure dans le domaine de la santé.
Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), la prévalence de ces maladies dites « non transmissibles » augmentera de 17 % au cours de la prochaine décennie.
Ce qui représentera non seulement un coût humain (87 % des décès prématurés en France en 2017) mais également financier démesuré (1).
Pour faire face à « l’épidémie émergente de maladies non transmissibles et d’atteintes fonctionnelles », l’OMS a depuis plusieurs années émis des plans d’action mondiaux mettant au premier plan la prise en charge des déséquilibres nutritionnels mais également de santé environnementale et comportementale dont l’exposition aux substances chimiques, composante majeure des racines développementales de la santé et des maladies (2).
De fait, la caractérisation de déterminants de santé, la mise en place de véritables mesures de prévention nutritionnelle et la prise en charge plurifactorielle de ces maladies nécessitent désormais de tenir compte des nouvelles connaissances en matière d’impact de l’environnement sur les mécanismes épigénétiques et la programmation du fœtus au cours du développement (3).
▶ En plus de cet article, la notion d'exposome est abordée plus en détail dans notre formation santé environnementale.
SOMMAIRE
DÉFINITION DE L'EXPOSOME
La santé dépend en effet de deux grandes composantes, reliées l’une à l’autre :
Le génome lié au caractère génétique de l’individu acquis dès sa conception et hérité des parents ;
L’exposome lié à l’environnement dans lequel il a été conçu, vit ou a vécu.
L’exposome correspond à l’environnement physico-chimique, biologique, psycho-social ou comportemental ayant un impact sur l’expression de notre génome.
Si la notion d'exposome a d’abord été proposée, en 2005, par le Dr Christopher Wild, épidémiologiste du cancer, afin d’illustrer le pendant du génome dans la détermination moléculaire du risque cancéreux, depuis le concept a été élargi à la totalité des expositions à des facteurs environnementaux (physiques, chimiques, microbiologiques, psycho-sociaux et comportementaux) auquel est soumis un organisme humain de sa conception à sa fin de vie et ayant un impact sur sa santé (4).
En France, dès le troisième Plan National Santé Environnement (PNSE3 2015-2019), émerge le développement de nouveaux concepts scientifiques dont celui d’exposome qui rend mieux compte de la réalité dans la prévention des risques pour la santé en lien avec l’environnement.
Ainsi l'Article 1er de la loi de Santé Publique adoptée en 2015 par l'Assemblée Nationale confirme l’importance de "la surveillance et l'observation de l'état de santé de la population et l'identification de ses principaux déterminants, notamment ceux liés à l'éducation et aux conditions de travail. L'identification de ces risques s'appuient sur le concept d'exposome, entendu comme l'intégration des expositions pour la vie entière" (5).
Plus récemment, la commission dite des « 1000 jours », lancée le 19 Septembre 2019, présidée par Boris CYRULNIK, neuropsychiatre, et composée de 18 experts, a rendu un premier rapport amenant à la généralisation et surtout à l’obligation d’un entretien prénatal précoce (avant 4 mois de grossesse) par une sage-femme ou le médecin traitant.
Outre les aspects psychosociaux du suivi des futurs parents, la généralisation de conseils nutritionnels, il serait opportun de saisir cette occasion dans un but d’évaluation des facteurs environnementaux à risque (6).
PEUT-ON CARACTÉRISER L'EXPOSOME ?
Si ce concept a été mis au point pour attirer l’attention sur le besoin critique d’une évaluation plus complète de l’exposition environnementale dans les études épidémiologiques, il n'est pas encore possible de mesurer ou de modéliser l'exposome complet.
Certains projets européens récents, tels que HELIX (exposome pendant les périodes pré et post natales), EXPOsOMICS (contaminants de l’air et de l’eau de boisson), HEALS et l'initiative américaine HERCULES permettent d’en définir les facteurs et mécanismes principaux mais de nouveaux cadres statistiques sont nécessaires pour intégrer et évaluer les effets des exposomes sur la santé (7, 8).
L'exposome comprend en effet un domaine externe, mesuré par des méthodes telles que les questionnaires et la biosurveillance des expositions environnementales, tandis que le domaine interne reflète en partie la réponse biologique au domaine externe.
Dans la pratique, on distingue :
Le domaine externe correspondant à la composition inhérente de l’exposome et relevant d’outils d’évaluation épidémiologique (expositions environnementales chimiques domestiques et professionnelles, médicamenteuses, pollution de l’air, de l’eau, risques sanitaires des aliments mais également capital social, niveau d’éducation, rythmes biologiques, traumatismes émotionnels, stress ou activité physique),
Du domaine interne correspondant aux conséquences biologiques de l’exposome et relevant d’outils d’évaluation clinique et biologique :
Profils neuro-immuno-endocriniens (profil en neuromédiateurs, climat hormonal, état inflammatoire)
Biomarqueurs permettant d’obtenir des informations sur la réponse cellulaire ou tissulaire à une exposition (externe).
Ce domaine de l’exposome est désormais évalué via des plates-formes d’omique moléculaire.
Ainsi depuis la fin des années 90, les instances sanitaires et même législatives reconnaissent les « sciences omiques » comme techniques d’avenir dans la prévention et traitement des maladies chroniques telles que l’obésité.
Elles « regroupent des champs d'étude de la biologie qui s'intéressent aux interactions dans et entre des ensembles vivants complexes (espèces, populations, individus, cellules, protéines, ARN, ADN) en prenant compte de l'environnement auquel ces ensembles vivants sont exposés et de l'écosystème dans lequel ils vivent » (9).
En s’appuyant sur des technologies de pointe, fondées sur la génomique (science qui étudie le génome), les autres approches « omiques » permettent aujourd’hui d’appréhender le vivant dans sa globalité en reliant l’information biologique aux pathologies multifactorielles.
L’évaluation des substrats, co-facteurs, biomarqueurs de la machinerie épigénétique (épigénome dont le méthylome), de la transcription (transcriptome), de la traduction ou synthèse protéique (protéome) ou en lien avec le métabolisme (métabolome) constituent des outils étiologiques vis-à-vis des mécanismes physiopathologiques des maladies multifactorielles dont le socle est « l’inadaptation » gènes/environnement.
Ainsi tout l’enjeu actuel en santé environnementale et médecine préventive est de comprendre et d’évaluer l’impact individuel de cet exposome, élément dynamique, en lien avec les pathologies chroniques ou atteintes fonctionnelles.
ÉPIGÉNÉTIQUE : LIENS ENTRE ENVIRONNEMENT ET GÉNOME
Le maillon de compréhension entre le génome et l’exposome est principalement médié par l’ensemble des modifications épigénétiques, transcriptionnelles ou encore post-traductionnelles permettant de moduler l’expression des gènes.
Ces mécanismes sont responsables non seulement de la différenciation cellulaire selon le type d’organe, du phénotype de l’individu mais également de l’ensemble de capacités fonctionnelles d’un organisme permettant l’adaptation à son environnement.
Une étude récente estime qu’à la naissance, les interactions gène/environnement liées à des processus épigénétiques représentent 75 % de la variabilité phénotypique, alors que le génotype ne rend compte que de 25 % (10).
Parmi tous ces changements d’activité des gènes, qui traduisent l’adaptation de l’expression du génome aux signaux reçus de son environnement, les plus étudiés sont basés sur les états chromatiniens ou « marques épigénétiques » regroupées sous le terme d’épigénome (11).
On sait aujourd’hui que les gènes peuvent être « allumés » ou « éteints » par plusieurs types de modifications chimiques qui ne changent pas la séquence de l’ADN.
La machinerie épigénétique comprend différents niveaux de régulation :
Sur le plan enzymatique :
Il est possible aujourd’hui d’évaluer les nutriments et métabolites jouant le rôle d’activateurs/inhibiteurs ou constituant des substrats/cofacteurs* des enzymes nécessaires à la méthylation de l’ADN et des modifications des histones (méthylation, acétylation, désacétylation), ces protéines sur lesquelles s’enroule l’ADN pour former la chromatine (12).
* plus spécifiquement le méthylome reflète l’état fonctionnel des ADN méthyltransférases (DNMTs) ou des histones méthyltransférases (HMTs) qui nécessitent par exemple des groupements méthyle (-CH3) provenant du cycle des folates ou encore d’un apport suffisant en choline. Autre exemple l’activité des histones désacétylases (HDACs) est influencée par la capacité du microbiote à produire des AGCCs notamment du butyrate au cours de la fermentation des fibres ou encore par la présence de phytonutriments tels que le resvératrol ou le sulforaphane.
Sur le plan nucléaire :
On sait désormais que certains récepteurs nucléaires tels que les PPARs (peroxysome proliferator-activated receptors) ou le récepteur aux minéralocorticoïdes (MR) recrutent des enzymes de la machinerie épigénétique, entraînant un remodelage de la chromatine et donc de l’expression des gènes indépendamment de leur capacité de facteur de transcription directement inductibles. Ces deux récepteurs sont par exemple des cibles potentielles de perturbateurs endocriniens de type phtalates ou encore d’un état de stress durant la grossesse.
Sur le plan de la signalisation intracellulaire :
La machinerie épigénétique répond de plus à un ensemble de signaux captés au niveau de la membrane cellulaire et transloqués par des cascades de signalisation souvent dépendantes de processus de phosphorylation nécessitant de l’ATP ou encore de nutriments tels que les ions calciques.
Les enzymes épigénétiques les plus impactées par ce mécanisme sont les HDACs extrêmement dépendantes du statut nutritionnel, énergétique et métabolique de l’organisme.
Le statut nutritionnel au cours de la grossesse, régime hyperlipidique ou à l’inverse restriction calorique, peut induire une reprogrammation fœtale : par des mécanismes épigénétiques durables, l’enfant à naître sera prédisposé au développement de troubles métaboliques (obésité, diabète type 2) mais également de troubles neurologiques en particulier dépressifs.
Ainsi, si les effets de l’environnement peuvent affecter ou entretenir une défaillance de la machinerie épigénétique tout au long de la vie avec des effets variables selon les individus, c’est la phase développementale de programmation qui joue un rôle fondateur de la santé du futur adulte (13).
L'EXPOSOME APPLIQUÉ À LA GROSSESSE : UNE PROBLÉMATIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE PRIORITAIRE !
Si des projets de recherche sont en cours pour caractériser et confirmer l’importance de exposome à grande échelle, la plupart des études ciblent déjà la période de grossesse comme point de départ clé pour décrire l'exposome dynamique, en raison de sa sensibilité accrue et des impacts à long terme (14).
Les modifications épigénétiques transmises au fil des divisions cellulaires ou dans une moindre mesure au fil des générations, peuvent être transitoires, mais certaines sont pérennes c’est-à-dire qu’elles persistent lorsque le signal qui les a induites disparaît.
Cependant, les facteurs épigénétiques étalent leurs effets sur la structure de la chromatine sur des échelles de temps variées allant de la minute, au cours de la signalisation par un récepteur, à des années pour la mémoire métabolique, ou à des générations pour les perturbations environnementales de type perturbateurs endocriniens (15).
De plus une période cruciale est celle du développement précoce, pré et postnatal parce que l’épigénome y est particulièrement sensible aux effets de l’environnement, et qu’il correspond, pour l’individu, à la construction de son capital santé.
Ainsi, l’environnement, au sens large, va donner une plasticité ou adaptabilité à l’expression génique et cela de façon très précoce.
Les maladies dites multifactorielles, complexes, hétérogènes, pour lesquelles ni mutations ni polymorphismes génétiques ne donnent la clé, peuvent trouver une théorie explicative pouvant intégrer la prédisposition individuelle aux facteurs extérieurs : c’est le concept des origines développementales de la santé et des maladies (DOHaD).
Le développement embryonnaire est en effet un moment fondateur de notre épigénome sous l’impact de l’exposome vécu par la mère (et dans une moindre mesure celui du père).
Au cours du développement les marques épigénétiques subissent un remodelage important comprenant de façon très précoce une « reprogrammation épigénétique » nécessaire à la différenciation cellulaire (remise à zéro de la majorité des marques épigénétiques parentales et apposition d’un nouveau profil épigénétique juste après la fécondation et au moment de l’implantation) puis durant toute la grossesse, la petite enfance et l’adolescence, une « mémorisation épigénétique » indispensable à l’identité cellulaire.
EXPOSOME, PRÉVENTION ET ACCOMPAGNEMENT
Le rôle majeur de l’environnement sur notre santé nécessite et justifie la formation des professionnels de santé sur ces thématiques dans un but évident (et urgent) de prévention notamment auprès des femmes enceintes mais également d’accompagnement de pathologies ou de troubles fonctionnels pour lesquels la médecine allopathique ne propose pas de solution thérapeutique ou à bénéfice/risque défavorable.
La notion d’exposome amène inévitablement aujourd’hui à une démarche de compréhension, d’évaluation et d’accompagnement qui s’articule autour de 2 plans complémentaires :
Réduire l’exposition à des facteurs pouvant fortement perturber la machinerie épigénétique et transcriptionnelle de reprogrammation fœtale, (stress, violence, comportements addictogènes, exposition aux polluants environnementaux notamment les perturbateurs endocriniens) ;
Rétablir les paramètres de fonctionnement génomique notamment en étudiant les relations et interactions entre l’alimentation et le matériel génétique (nutrigénomique) ainsi que le lien étroit entre l’utilisation d’extraits de plantes et la modulation de l’expression génomique (phytopharmacologie appliquée à la génomique).
Pour en savoir plus :
- Module 4 : Santé environnementale, perturbateurs endocriniens et Nutrigénomique
- Module 14 : Nutrition et supplémentation de la femme enceinte, allaitante et du jeune enfant
Marie-I. LODATO
Formatrice en Santé environnementale, Nutrigénomique et Sciences des plantes médicinales
Co-Responsable pédagogique Oreka Formation
Co-Conceptrice de la Nutrition Fonctionnelle Adaptative
https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/noncommunicable-diseases
Global status report on non communicable diseases – WHO- 2014 Number of pages : 298 Publication date : 2014 ISBN : 978 92 4 156485 4.
Junien C. et al. The new paradigm of the developmental origin of health and diseases (DOHaD) – Epigenetics and environment : evidence and missing links. Med.Sci (M/S Revues) Vol 32, Number 1, 2016 Janv. 27-34 p.
Wild CP. Complementing the genome with an "exposome": the outstanding challenge of environmental exposure measurement in molecular epidemiology. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2005 Aug. 14(8):1847-50. DOI : 10.1158/1055-9965.EPI-05-0456.
https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/1000_jours_4_pages_2019_vweb.pdf
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