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Petit traité d’intolérances alimentaires

Dernière mise à jour : 23 oct. 2023

Derrière les maux, il y a les mots…

Mal au ventre suite a une intolérance alimentaire

Les réactions adverses à un aliment relèvent de différents mécanismes physiopathologiques dont la compréhension détermine la prise en charge nutritionnelle et thérapeutique.


Mais nombre d’entre vous le savent, dans le domaine des troubles fonctionnels et, a fortiori, lorsqu’aucun diagnostic n’est pas explicitement posé, la tentation est grande pour le patient de nommer son mal et de trouver des coupables avec, dans ce cas, des risques sous-jacents d’éviction abusive ou de troubles du comportement alimentaire (TCA).


Je vous propose dans cet article de redéfinir quelques termes afin de vous aider à construire votre argumentaire de consultation en sachant :

  • Définir une intolérance alimentaire vs une allergie alimentaire ;

  • Comprendre les principaux mécanismes des intolérances alimentaires afin d’évaluer le bien fondé des mesures d’évaluation et de prise en charge ;

  • Ouvrir le débat sur d’autres concepts.

 

SOMMAIRE





 


INTOLÉRANCE ALIMENTAIRE vs ALLERGIE ALIMENTAIRE


La prévalence des allergies (2 à 5% de la population) et des intolérances alimentaires (15 à 20 %) ne cesse d’augmenter ces dernières décennies (1) en lien avec l’évolution des modes alimentaires mais probablement aussi de notre réponse immunitaire elle-même comme nous le détaillons dans notre article sur les origines et conséquences d'un système immunitaire faible.


En dehors du caractère toxique d’un aliment (contamination par des bactéries et/ou leurs toxines, composés intrinsèques toxiques), ou encore des aversions d’ordre psychosomatique, les réactions adverses aux aliments mettent en jeu :

  • Des mécanismes immuno-allergiques spécifiques d’un antigène (hypersensibilités allergiques immédiates ou IgE médiées communément appelées « allergies », allergies croisées, hypersensibilités allergiques retardées ou non Ig E médiées notamment à médiation cellulaire telles que le SEIPA ou syndrome d’entérocolite induit par les protéines alimentaires) ;

  • Des mécanismes non immunologiques qui caractérisent les intolérances alimentaires*.

* Le cas particulier de l' « intolérance au gluten » ou maladie cœliaque est une entéropathie inflammatoire auto-immune déclenchée par la consommation d'aliments contenant du gluten (dont le blé, l'orge, le seigle et l'épeautre) chez des individus génétiquement prédisposés (HLA-DQ2 / DQ8 positif). La maladie entraîne une inflammation chronique de la muqueuse de l'intestin grêle, ainsi qu'une atrophie des villosités et une malabsorption.


L’intolérance alimentaire est une hypersensibilité non allergique ou réaction adverse à un aliment en l’absence de phénomène toxique ou de réponse à un mécanisme immunologique spécifique (2).

Les manifestations peuvent être variées : érythème cutané, urticaire, flush, inconfort abdominal, diarrhées, dyspnée ou même céphalées.



PRINCIPAUX MÉCANISMES PHYSIOPATHOLOGIQUES DES INTOLÉRANCES ALIMENTAIRES ET APPLICATIONS


Les intolérances alimentaires relèvent de mécanismes qui s’entrecroisent :


Intolérances pharmacologiques


La surcharge en médiateurs chimiques identiques à ceux impliqués dans les réactions inflammatoires et/ou allergiques (histamine, kinines) peut conduire à des réactions « pseudo-allergiques ».


Les mécanismes les mieux identifiés impliquent les amines biogènes, métabolites issus de la décarboxylation des acides aminés de façon endogène ou par le biais de micro-organismes : on y retrouve l'histamine (histidine), la tryptamine (tryptophane), la tyramine (tyrosine) ou encore les polyamines putrescine (ornithine), cadavérine (lysine) ou agmatine (arginine).


L'apport exogène d'aliments riches en ces molécules (exemple classique de la fermentation lactique du vin) peut conduire à des manifestions de maux de tête de type vasculaires, de troubles gastro-intestinaux, de douleurs musculaires et fatigue généralisées.


Par ailleurs, chez les personnes sensibles, la consommation de ces aliments et/ou de médicaments aux effets similaires (aspirine, codéine, certains AINS etc.), peut déclencher des poussées douloureuses en cas de syndrome de l'intestin irritable ou de cystite interstitielle.


Dans ces cas, l'intolérance est souvent doublée d'une mastocytose (infiltration de la muqueuse en mastocytes riches en granulations d'histamine, tryptase etc.) et de déséquilibre dans le climat en hormones sexuelles (rôle dans l'expression des récepteurs cibles aux amines biogènes).

  • Les aliments riches en histamine sont essentiellement les aliments et boissons fermentés (certains fromages, choucroute, charcuterie, levure de bière, vin, etc.), les poissons fumés, les conserves de poissons (thon, maquereau, etc.) ou de petits pois, et à un moindre degré les avocats, figues ou raisins.

  • À l’extrême, la réaction scombroïde est une intoxication à de fortes concentrations d’histamine contenues dans la chair de poissons avariée, notamment de la famille des scombridés (thons, maquereaux). A la faveur d’une rupture de la chaîne du froid, l’histidine présente dans les poissons à chair foncée est convertie par les bactéries contaminantes en amines biogènes, entraînant des taux toxiques d’histamine, résistant à la cuisson et à la congélation (3).

  • Les aliments riches en tyramine sont certains fromages, le chocolat et le hareng saur. Le risque d’intolérance est majoré en cas de constipation et de dysbiose (tyrosine-décarboxylases microbiennes).

  • Les aliments qui provoquent la libération d’histamine sont classiquement les fraises (agrumes, bananes, fruits exotiques), les tomates, le blanc d’œuf et les crustacés, poissons à chair rouge (thon, maquereau, saumon), sardines, anchois, hareng ou encore le chocolat (4).

Si l’intolérance à ces aliments est dose-dépendante, ces dernières années la notion d’intolérance à l’histamine a été proposée comme explication à l’apparition de symptômes lors de l’ingestion d’aliments contenant de l’histamine « sans effet de surcharge ». Le seuil de tolérance de l'histamine est estimé à 10 mg.


Les mécanismes physiopathogéniques exposés sont des anomalies de l’absorption intestinale de l’histamine, une insuffisance d’activité enzymatique des systèmes de dégradation (diamine oxydase DAO et histamine-N-méthyl-transférase), une hyperréactivité à l’histamine et/ou une prédisposition à l’histamino-libération non spécifique (5).


Des tests d’évaluation de cette entité, sont proposés par différents laboratoires de biologie fonctionnelle (histamine fécale, méthyl-histamine urinaire, test in vitro d'activité de la DAO à partir du plasma, génotypage PCR sur salive).


Sur le plan thérapeutique, si les antihistaminiques peuvent atténuer certains symptômes, l’utilité d’une supplémentation en DAO, reste à discuter notamment en fonction du caractère primaire (polymorphisme génétique qui toucherait 10 % de la population concernant le gène codant pour la protéine AOC1) ou secondaire (perméabilité intestinale, défaut de cofacteurs de fonctionnalité) de l’intolérance.


La diamine oxydase est en effet une enzyme à cuivre exprimée dans les intestins, reins et placenta, tandis que l’histamine-N-méthyl-transférase présente dans tous les tissus, nécessite des donneurs de méthyle telle que la S-adénosyl-méthionine.


Par ailleurs, il convient également de tenir compte des facteurs chimiques identifiés comme inhibiteurs de l'activité de la DAO (alcool, théophylline, caféine, ainsi que de nombreux médicaments tels que certains antihypertenseurs, anesthésiques généraux, ou antibiotiques etc.).


Le phénomène d'"intolérance à l’histamine" relèverait d’un ratio déséquilibré entre l’apport (seuil individu-dépendant) d’histamine ou sa libération versus les déficiences génétiques et fonctionnelles en capacités de dégradation. Sur ce dernier point, les mécanismes convergent vers des processus de nature enzymatique.


Intolérances enzymatiques ou métaboliques


L’intolérance alimentaire, de nature enzymatique, la plus fréquente est l’intolérance au lactose causée par un déficit en lactase. Elle concerne 7 à 20% des Caucasiens, et près de 90% des Asiatiques et des Amérindiens.


La forme primaire, la plus fréquente, est due à une diminution physiologique de l’activité de la lactase intestinale (activité enzymatique réduite à 10-15% à l’âge adulte) ou plus rarement congénitale, de transmission autosomale récessive (6). 


Une forme secondaire d’intolérance est également possible, le déficit enzymatique accompagnant toute atteinte de la muqueuse (gastroentérite, maladie de Crohn, etc.).


Les symptômes dose-dépendants sont dus à la métabolisation par les bactéries coliques du lactose non absorbé dans l’intestin grêle (processus de fermentation) et aux propriétés osmotiques du lactose. Une production d’hydrogène peut être objectivée par un test respiratoire au lactose.


Sur le plan thérapeutique, la réduction voire l’éviction alimentaire selon la forme constitue une stratégie efficace là où l’administration de lactase donne des résultats variables. Enfin une modulation de récepteurs métaboliques PPARγ au niveau génomique laisse entrevoir des pistes thérapeutiques nutritionnelles.


Une forme d’intolérance au fructose, consommé comme monosaccharide ou clivé du saccharose, est possible (poires, pastèques, jus de fruits sucre de table, miel, sirop d’érable ou édulcorants à base de saccharose). Elle se manifeste rarement de façon primaire (déficit en aldolase B) mais plus fréquemment de façon secondaire avec une capacité de transport du fructose par l’épithélium intestinal (GLUT-5 ou GLUT-2) dépassée et une absorption incomplète du fructose (7).


Le concept de malabsorption des hydrates de carbone, du fructose mais de façon plus globale, des FODMAP (Fermentable Oligo-, Di- and Monosaccharides And Polyols) relève plus de problèmes de fermentations secondaires en lien avec le microbiote que de mécanismes d’intolérance alimentaire.


Les intolérances enzymatiques soulignent l’importance de l’intégrité intestinale en tant qu’élément fonctionnel ; ce dernier aspect est également la clé de compréhension de certaines intolérances alimentaires plus récentes associées à nos modes de consommation.


Intolérances « idiopathiques »


Certaines intolérances à des additifs alimentaires bien que décrites depuis longtemps, n’ont pas totalement livrées leurs mécanismes. La plus reconnue est l’intolérance aux sulfites, conservateur allant du E220 au E228, contenu dans beaucoup de vins notamment blancs mais également fruits séchés comme les abricots.


Les symptômes apparaissent environ 30 minutes après consommation et sont en général peu graves (flush, urticaires, éternuements, conjonctivites, migraines) même s’ils peuvent aggraver les crises chez les asthmatiques.


En dépit de l’absence de données scientifiques explicatives, notons que toute surcharge en sulfite sollicite les besoins en sulfite oxydase. Cette enzyme transforme le sulfite en sulfate dans la dernière étape de la dégradation de la cystéïne et de la méthionine (acides aminés soufrés) et nécessite un cofacteur à molybdène. De la transformation des sulfites en sulfates dépend la synthèse de protéoglycanes sulfatés constitutifs du mucus intestinal.


Par ailleurs, d’autres expositions suggèrent un déséquilibre enzymatique en molydo-enzymes soit par chélation du molybdène (exposition au glyphosate) ou par augmentation des besoins en tant que cofacteur ; c’est le cas lors de candidose chronique (aldéhyde-oxydase) ou consommation de nitrates (nitrate-réductase).


En matière d’intolérance aux sulfites, outre l’éviction d’aliments riches en sulfites, une supplémentation en molybdène (oligoélément) et un travail sur l’intégrité intestinale sont des pistes thérapeutiques à envisager.

L’intolérance au glutamate monosodique (MSG ou E621) est également bien connue sous le terme de « syndrome du restaurant chinois », 20 minutes après la consommation d'un repas riche en MSG (sensation de brûlure à l'arrière du cou, flush, érythème du visage, inconfort gastrique ou dyspnée, faiblesse générale, palpitations, céphalées, bouffées vasomotrices, étourdissements voire syncope).


Bien que non établie, cette « intolérance » s’apparente plus à un mécanisme d’ordre pharmacologique, le MSG agissant sur les récepteurs du glutamate dont les NMDA (N-Méthyl-D-aspartate).


Au-delà de l’intolérance, le MSG est aujourd’hui considéré comme neurotoxique (maladies neurodégénératives), reprotoxique voire perturbateur endocrinien (associé à l'obésité et aux troubles métaboliques) (8). 



OUVRIR LE DÉBAT VERS D'AUTRES CONCEPTS


La notion de sensibilité alimentaire 


Du fait de l’évolution des aliments (complexification des variétés génétiques, agro-industrialisation des modes de production et de transformation), des modes alimentaires (végétalisation et augmentation des facteurs antinutritionnels dans la ration), mais également des capacités individuelles (dysmotilité intestinale, baisse de diversification du microbiote, insuffisance enzymatique, dysthyroïdies), certaines catégories d’aliments sont l’objet de « réactions adverses ».


L’exemple le plus documenté aujourd’hui est celui de la SBNC, sensibilité au blé non coeliaque donnant lieu à des manifestations digestives (douleurs abdominales, ballonnement, diarrhée/constipation) et extradigestives (fatigue, maux de tête, douleurs musculaires et articulaires, malaise général).


Sur le plan immunologique intestinal, la SBNC est caractérisée par une activation du système immunitaire inné à savoir des phénomènes inflammatoires par activation des TLR4 et recrutement possible des cellules lymphoïdes innées ILC (9).


La souffrance intestinale est la résultante d’effets conjugués liés :

  • À des protéines de défense du blé responsables d’effets inflammatoires et enzymatiques (ex. : ATI inhibiteurs de l’α-amylase/trypsine), ou quasiment « toxiques » sur les cellules épithéliales (agglutinines) ;

  • Au gluten par ses effets de disjonction sur les jonctions serrées (induction d’interleukines 8 et 15 et de zonuline) ;

  • Aux fructanes par effets métaboliques en lien avec le microbiote ;

  • Aux contaminants potentiels pouvant avoir des effets enzymatiques et bactériostatiques (glyphosate) voire pharmacologiques (additifs).


Vers une rupture de tolérance


Si elles se caractérisent par des processus non immunologiques (intolérances) ou immuns non spécifiques (réactions inflammatoires ou lymphocytaires innées), le risque de laisser évoluer ce type de manifestations est d’arriver à des ruptures de tolérance.


Emerge alors le concept d’hypersensibilités allergiques alimentaires médiées par des IgG ou des complexes immuns parfois éloignées de l’aliment incriminé voire de l’aliment lui-même (risque microbiologique).



CONCLUSION


Le point de convergence des réactions adverses aux aliments est souvent une souffrance intestinale.


Si une prise en charge objectivée peut amener à une éviction alimentaire (hypersensibilités allergiques IgE dépendantes, intolérances primaires), l’objectif thérapeutique de la plupart des intolérances secondaires et des sensibilités, est de retrouver une capacité digestive optimale de ces aliments :

  • Réduction ou optimisation des aliments incriminés ;

  • Soutien enzymatique (enzymes digestives objectivées par le dosage de l’élastase fécale, cofacteurs et substrats des enzymes constitutives du mucus, ou éventuellement de la métabolisation histaminique) ;

  • Adaptation fonctionnelle et métabolique (sécrétion biliaire, régulation entéroendocrine, diversification du microbiote) ainsi qu'hormonale (imprégnation en hormones thyroïdiennes et équilibre en hormones sexuelles) ;

  • Selon les marqueurs, modulation de la réponse immune (calprotectine fécale, β-défensines) et restauration de l’intégrité (zonuline, α1-antitrypsine) notamment en cas de malabsorption.



Marie-I. LODATO


Formatrice en Santé environnementale, Nutraceutiques et Plantes médicinales

Co-Responsable pédagogique Oreka Formation

Co-Conceptrice de la Nutrition Fonctionnelle Adaptative


(1) Weidenhiller M. Layritz C. Hagel AF. et al. Histamine intolerance syndrome (HIS) : Plethora of physiological, pathophysiological and toxic mechanisms and their differentiation. Zeitschrift fur Gastroenterologie. 2012;50(12):1302-9. doi : 10.1055/s-0032-1325487.

(3) Hungerford JM. Scombroid poisoning : a review. Toxicon. 2010 Aug 15;56(2):231-43. doi: 10.1016/j.toxicon.2010.02.006.

(4) PNNS. Les allergies alimentaires. Connaissances, clinique et prévention. 2002. 70p. Disponible sur : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/actions42_allergies.pdf.

(5) Lefèvre S., Astier C., Kanny G. Histamine intolerance or false food allergy with histamine mechanism Revue Française d'Allergologie. Feb. 2017 ; 57(1) :24-34. doi.org/10.1016/j.reval.2016.10.004.

(7) Choi YK. Johlin FC. Summers RW. et al. Fructose intolerance : An under-recognized problem. Am J Gastroenterol. 2003 Jun;98(6):1348-53.doi: 10.1111/j.1572-0241.2003.07476.x.

(8) Niaz K., Zaplatic E., and SpoorJ. Extensive use of monosodium glutamate: A threat to public health? EXCLI J. 2018; 17: 273–278. doi: 10.17179/excli2018-1092.

(9) Di Sabatino A., Gino Corazza G R. Nonceliac gluten sensitivity: sense or sensibility ? Ann Intern Med. 2012 Feb 21;156(4):309-11.doi: 10.7326/0003-4819-156-4-201202210-00010.


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